Date de publication :

15/03/2023

Modifié le :

02/05/2023

Et si le bâtiment le plus écoresponsable était déjà construit?

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Et si le bâtiment le plus écoresponsable était déjà construit? 

Par Jacinthe Alias, soutien au mandat en patrimoine chez CBSL

Dans la foulée de l’adoption de son Plan d’action régional en patrimoine et dans l’optique de relancer ses travaux dans ce secteur, Culture Bas-Saint-Laurent souhaite publier une série d’articles informatifs sur divers thèmes liés à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine. Cet article sur le patrimoine bâti et l’environnement est le second de la série. 

La sauvegarde du patrimoine bâti occasionne des contraintes de conception qui peuvent être à la fois créatives et innovantes. Certains types de patrimoines immobiliers offrent des défis de conservation très particuliers qui peuvent être induits notamment par des techniques constructives caractéristiques d’une époque, la typologie ou l’utilisation de certains matériaux. Un bâtiment de pierre n’offrira pas les mêmes défis de sauvegarde qu’un bâtiment à structure d’acier. Les projets d’interventions sur un immeuble déjà existant font surgir un questionnement : est-il plus écologique de préserver le patrimoine architectural malgré les difficultés que cela implique que de le démolir pour le remplacer par des bâtiments nouveaux et plus performants? 

 
 

L’analyse des cycles de vie 

« Le bâtiment le plus durable est celui déjà construit »
Carl Elefante

Maintes études prouvent qu’il est mieux de conserver que de construire à neuf, et ce, même dans les cas où plusieurs interventions de mises à niveau doivent être faites. En effet, pour avoir une véritable idée du rendement énergétique d’un bâtiment, il est nécessaire d’en faire l’analyse sur l’ensemble de son cycle de vie. Il s’agit de mesurer les répercussions sur l’environnement de chaque étape de la vie d’un bâtiment, depuis l’extraction de la matière première jusqu’à son enfouissement. Différents outils existent afin de réaliser ce genre d’analyses. 

Il est également important de comprendre que la consommation d’énergie d’un bâtiment ne se calcule pas uniquement durant sa phase d’utilisation. D’après le National Trust for Historic Preservation’s Research & Policy Lab (RPL) le calcul doit s’effectuer en considérant trois catégories: (1) l’énergie intrinsèque, nécessaire à la production d’un bâtiment et qui comprend les phases d’extraction des ressources, de fabrication, de transport, d’installation et de rénovation; (2) l’énergie d’exploitation, nécessaire pour le fonctionnement du bâtiment une fois construit et qui comprend l’énergie pour le chauffage, le refroidissement et les services électriques; (3) l’énergie de transport qui comprend l’énergie nécessaire au transport des usagers et des biens vers et depuis le bâtiment. 

Généralement, l’importance accordée à l’énergie d’exploitation fait ombrage aux énergies intrinsèque et de transport. Selon le RPL, cette façon partielle de considérer les dépenses énergétiques d’un bâtiment est souvent à l’origine de l’argumentaire justifiant la construction de nouveaux bâtiments performants et de l’évacuation des solutions préconisant la mise à niveau des immeubles désuets au standard contemporain de performances énergétiques.

Grâce à sa méthodologie, RPL démontre qu’il faut entre 10 et 80 années à un bâtiment neuf  pour parvenir à surmonter les impacts environnementaux négatifs liés à sa construction, et ce même si le nouvel immeuble est 30% plus performant énergétiquement que l’ancien.

Écobâtiment, un organisme québécois qui fait la promotion des bâtiments durables et de la valorisation des bâtiments existants, souligne qu’en 2003 « l’âge moyen des bâtiments non résidentiels au Canada était 17,9 ans ». Nous accumulons donc une dette environnementale qui ne peut être remboursée en reconstruisant à neuf. Une récente étude ( voir le graphique ) menée par Écobâtiment permet de constater qu’un projet de requalification ( R ) pourrait émettre 128 kg de CO2eq/m2 de moins qu’une nouvelle construction ( N ) ayant le même usage. Ce résultat s’explique aisément par l’« avoided impacts approach » (l’approche d’impacts évités). En s’abstenant de construire, on préserve l’énergie qui aurait été nécessaire à l’édification de nouveaux immeubles. Ainsi, dans le cas d’un bâtiment à haut rendement énergétique, l’ensemble de l’énergie déployée sur son cycle de vie complet n’équivaut presque jamais à l’énergie requise à la restauration et à la mise au niveau de l’ancien. En 2018, le GIEC a stipulé que l’amélioration de « l’efficacité énergétique des bâtiments existants offre les possibilités d’atténuation les plus importantes, les plus diversifiées et les plus économiques qui soient pour lutter contre le changement climatique ».

Image : Écobâtiment et André Bourassa architecte, Valoriser les bâtiments existants: un levier pour le développement durable, Québec, Écobâtiment, 2019, p.47

Au Québec, différentes statistiques illustrent qu’il est plus écologique de préserver les bâtiments anciens que de les démolir pour en ériger de nouveaux. Écobâtiment estime à près de 15 % les émissions de GES de la province attribuables au secteur du bâtiment, si l’on prend en compte le transport, les procédés de fabrication et les émissions lors du traitement des déchets de démolition. Recyc-Québec attribue quant à lui 29 % des matières résiduelles à des déchets générés lors d’activités relatives à la construction et à la démolition. 

La conservation et la mise en valeur du patrimoine immobilier est un dossier complexe qui implique des considérants environnementaux, mais également économiques, culturels et politiques. Il faudrait se pencher sur ces enjeux afin d’avoir un portrait plus complet de la requalification du patrimoine immobilier du Québec. Dans le prochain article de la série à paraître sur le site de CBSL, il sera question des enjeux de conservation propres au patrimoine de la modernité architecturale.

 

NOTES

1. «Carl Elefante», Architect, https://www.architectmagazine.com/author/carl-elefante, (mars 2023)
2. Voir plus bas la liste d’ouvrages à consulter pour poursuivre la réflexion.
3. L’article de Voir Vert en nomme quelques- uns, (mars 2023)
4. Écobâtiment et André Bourassa architecte, Valoriser les bâtiments existants: un levier pour le développement durable, Québec, Écobâtiment, 2019, p.35.
5. Ibid., p. 47. 
6. The National Trust for Historic Preservation, The Greenest Building: Quantifying the Environmental Value of Building Reuse, https://www.culturebsl.ca/wp-content/uploads/2023/03/The_Greenest_Building.pdf, (mars 2023), p.20. 
7. MTBA & Associates Inc., Accroître la résilience: Lignes directrices pratiques pour la réhabilitation durable de bâtiments au Canada, 2016, Gatineau, Collaboration fédérale, provinciale et territoriale sur les lieux historiques au Canada, http://publications.gc.ca/collections/collection_2017/pc/R62-539-2016-fra.pdf, ( mars 2023), p.13.

 

Ouvrages à consulter pour poursuivre la réflexion 

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