Date de publication :

20/04/2018

Modifié le :

20/04/2018

POUR UNE CITOYENNETÉ CULTURELLE QUI REND BELLE LA DIFFÉRENCE

Quand j’étais toute petite, je croyais que les artistes peintres peignaient à la manière dont leur regard se posait sur les choses. Ainsi, les pointillistes devaient voir tout en petits points. Cela me fascinait et me rendait plus que curieuse de savoir comment chacun voyait les choses. Je posais donc sans cesse des questions : « Comment vois-tu cette roche ? À quoi ressemble ce gris dans tes yeux à toi ? Raconte-moi ton gris ? »

Plus tard, vers 9 ou 10 ans, j’ai lu un livre sur Monet. On y relatait que Monet peignait flou parce qu’il avait des cataractes. J’avais donc raison, chaque personne voit le monde différemment. Je serai toujours reconnaissante envers les artistes pour ce sage enseignement qui a fait de moi une enfant curieuse qui élargit son regard par celui de chaque être qu’elle croise.

L’importance des arts dans la construction d’une citoyenneté

Être citoyen, c’est avoir des droits et un devoir de participation. C’est être coresponsable du devenir de sa communauté pour le mieux-être de soi et de l’autre. Qu’elle soit inscrite dans une collectivité petite et rurale ou vaste et urbaine, la citoyenneté se porte d’abord en soi, puis avec les autres et, je crois, pour nos jeunes, avec le monde en entier.

Être citoyen culturel du monde, c’est cette promesse inouïe que le « je » intérieur est une parcelle de la représentation de qui nous sommes collectivement. Pour moi, les artistes sont les gardiens de cet exploit si nécessaire pour notre humanité. Ce sont eux qui osent montrer qu’il est encore possible de présenter sa flamme intérieure la plus fragile, la plus innovante, la plus dérangeante dans des espaces publics.

Dans un contexte social ou presque tout est normé, encadré, balisé. Dans une société où il est encore si difficile d’être différent, de dépasser la ligne ou même d’être ému en public, les artistes eux, par leurs pratiques, veillent à ce qu’être unique soit encore possible. Ils sont les gardiens qui, par leurs voix et leurs œuvres, ont le pouvoir d’apprendre à nos enfants que leurs différences peuvent être des talents.  

L’articulation du Je-Nous

D’Ansembourg (2014), apporte une piste vraiment pertinente avec son concept d’Intériorité citoyenne. Il souligne que l’intériorité citoyenne permet l’articulation du Je-Nous. Une voie entre l’intime et singulier de chacun et le partage de cette singularité pour l’offrir généreusement à sa collectivité. Cela me semble aujourd’hui la base de la formation du citoyen de demain.

« Il est temps de s’assurer que nos jeunes, peu importe leurs conditions sociales, économiques et géographiques aient accès à une éducation artistique variée et de qualité »

Les artistes, leurs œuvres et notre culture sont, comme le dit Audrey Azoulay (2017), des soldats contre l’uniformisation de la pensée. Ils préservent la pluralité de visions sur le monde.

La démarche sur la citoyenneté culturelle propose une reconnaissance du rôle fondamental des arts et de la culture dans le développement personnel et social de chaque citoyen.

Il est temps de s’assurer que nos jeunes, peu importe leurs conditions sociales, économiques et géographiques aient accès à une éducation artistique variée et de qualité, mais aussi à des œuvres, des artistes et des activités de médiation culturelle. Qu’ils puissent expérimenter plusieurs disciplines, rencontrer des artistes et être traversés par des œuvres. Qu’ils puissent explorer des modes d’expressions diversifiés tels que la langue des mouvements par la danse, la langue de l’image par la vidéo ou celle des couleurs par la peinture ou encore de la lumière par la sculpture. C’est une question préoccupante et fondamentale de mieux-être des individus et des collectivités.

Ensemble il faut mettre en place des actions pour éviter qu’un jour, nos enfants comme tant d’autres cessent de danser, de dessiner, de chanter ou de s’exprimer à haute voix. L’art est une lecture sensible du monde. Je pense que chaque jeune, comme moi enfant, a une lecture sensible du monde qui apprend ou non à s’exprimer ou qui est écrasé par la peur d’être différent.

« Nos enfants et nos adolescents doivent apprendre que la singularité de chacun a le droit d’être »

Osons, comme adultes et comme société souffler sur les flammes de nos jeunes pour en faire des feux. Les flammes sont déjà là. Il n’en tient qu’à nous de souffler avec bienveillance ou de les éteindre par peur d’être brûlés.

Offrons-leur la possibilité d’être libres, inclusifs, et plus conscients de leurs cultures et de leurs potentiels.

Osons offrir les armes créatives dont ils ont déjà besoin dans ce monde en transformation exponentielle.

Nos enfants et nos adolescents doivent apprendre que la singularité de chacun a le droit d’être. Ainsi, ils pourront devenir plus créatifs, proposer des solutions innovantes devant les défis encore improbables qui les attendent, il me semble, en si grand nombre…

Je ne dis pas que les jeunes doivent devenir des artistes, bien au contraire, mais je dis que nous avons le devoir de leur apprendre qu’il est possible de contribuer à construire une communauté où leur talent singulier est valorisé et encouragé à être partagé comme un acte généreux, comme un acte citoyen.

Encourager la différence, la rendre belle et la mettre au service de la collectivité. Pour moi cet apprentissage-là passe par la rencontre d’artistes et d’œuvres de toutes provenances et de toutes disciplines.

Les arts savent transformer la différence en beauté.

Enfant, dans cette rencontre avec les artistes qui peignaient à la manière dont ils voyaient le monde, je me suis mise à être curieuse et à valoriser à la fois la différence de l’autre, mais aussi à m’autoriser à aimer ma propre différence et la voir comme un atout précieux. N’est-ce pas là le cœur d’une citoyenneté inclusive, à la fois généreuse pour soi et pour sa communauté ? Une citoyenneté culturelle ?