Le projet ACTE-Culture vise le développement d’une communauté de pratique pour l’amélioration des conditions de travail en culture au Bas-Saint-Laurent. Il se déploie à travers différentes actions et activités telles que les «Midi communautés»; des rencontres conviviales d’échange sur des sujets partagés qui peuvent avoir un impact positif sur les conditions de travail et de pratique en arts et culture dans la région. Nous vous partageons ici-bas le témoignage d’Émilie Rondeau sur son expérience de la conciliation travail | famille | pratique artistique.
Artiste et maman ou Maman et artiste ? (par Émilie Rondeau)
«Un récent Midi communauté organisé par Culture Bas-Saint-Laurent portait sur la conciliation travail, famille et pratique artistique. Plusieurs sujets ont émergé et j’ai eu envie d’approfondir ma réflexion, de prendre un pas de recul et de partager mon expérience.
Je suis artiste en arts visuels. J’habite à Rivière-Ouelle au Bas-Saint-Laurent. Je suis maman d’un ado de 15 ans et d’un préado de presque 12 ans. J’ai terminé des études universitaires de 2e cycle en 2006. L’année suivante, je donnais naissance à mon premier enfant. Ma parentalité et ma carrière d’artiste sont en synchronisme.
J’ai l’impression que l’histoire reste à écrire au sujet de la conciliation travail, famille et pratique artistique. Les exemples positifs sont rarissimes pour ma génération. Au Cégep, alors qu’on débutait notre vie de jeune adulte, on abordait le sujet à travers des films documentaires tels que Les enfants du Refus global de Manon Barbeau. Plus tard, sa fille Anaïs Barbeau-Lavalette a aussi exploré cette relation dans son roman La femme qui fuit. La pression est grande pour renverser la tendance. Heureusement, des exemples se sont multipliés dans mon entourage et m’ont aidé à tracer mon chemin.
Dès le début de ma carrière, j’ai fait le choix de me consacrer entièrement à ma pratique artistique. En plus des expos, des résidences, des prix et des bourses, j’avais la chance de vendre des peintures en galeries commerciales. Devenir parent a augmenté mon devoir de subsistance. Il n’y avait pas de plan B, je devais gagner ma vie et subvenir aux besoins de ma famille avec mon travail d’artiste.
Mon conjoint Stéphane Dumont est ébéniste-propriétaire d’Arbol cuisine. Nous sommes entrepreneurs au carré dans notre couple. Nous avons tous les deux bâti nos carrières, nos entreprises et notre vie de famille avec toute l’instabilité que ça représente.
En 2007, on était à la deuxième année de la mise en place du congé parental pour les travailleurs autonomes du Québec. Il y avait une toute nouvelle reconnaissance pour notre statut d’emploi, mais encore fallait-il que le bilan soit positif pour en calculer le 70 %. Les premières années, je continuais de faire des expos et des résidences. Stéphane ou la famille en renfort se mobilisaient pour m’aider à remplir mes engagements. Bébé #2 est arrivé presque 4 ans plus tard. L’année suivante, c’était le début de l’école et des contraintes du calendrier scolaire. C’était de plus en plus difficile de m’absenter et je n’en avais ni le temps ni l’envie. L’art public s’est invité dans ma vie et graduellement j’ai conçu des projets extérieurs dans la région.
Chaque étape de l’enfance m’a nourrie à sa façon. En 2013, j’ai conçu une exposition destinée aux 2 à 7 ans. Je me suis intéressée à leur imaginaire, j’ai embrassé leurs champs d’intérêt. J’ai porté mon regard à l’échelle 1:2 pour être à leur hauteur, les comprendre, jouer avec eux et tenter de les inspirer et de leur partager mon amour pour les arts. Il faut dire que j’ai un faible pour l’enfance. J’adore leur ouverture, leur intelligence, leur intuition et façon de s’émerveiller.
Quand je conçois des projets d’intégration à l’architecture pour des écoles primaires et même secondaires, j’ai l’impression de bien connaître la clientèle cible. Je vis au quotidien avec des jeunes de ce groupe d’âge et je suis moi-même passée par-là. Je m’intéresse à ce qui les motive dans leur quotidien. Ils contribuent avec leurs commentaires et leurs impressions à mes projets et me guident si je fais fausse route.
En famille, nous avons vu plusieurs expositions et événements artistiques. Mes garçons ont grandi dans le milieu des arts visuels et des métiers d’arts. Visiter des musées est un incontournable dès que nous visitons une ville. Quand ils étaient petits, c’était ma façon de continuer d’en consommer. Quinze ans plus tard, mon plus vieux fait de l’art. Il a emmagasiné tellement de connaissances grâce au contact des arts et m’épate constamment. Maintenant, c’est lui qui demande d’aller voir telle ou telle expo. Je suis à la fois ravie et surprise de constater tout le chemin parcouru en si peu de temps.
Au fil des ans, j’ai maintenu mon implication avec Vrille art actuel. C’est ma façon d’avoir des collègues de travail, de réseauter et de rencontrer des artistes d’ailleurs au Québec. Comme organisme, nous avons de beaux exemples d’accueil d’artistes avec leurs enfants. À l’été de la résidence de Ryth Kesselring, nous lui avons prêté notre maison familiale remplie de Playmobil et de Lego avec un grand terrain et un trampoline. Les enfants étaient inscrits au Camp de jour pendant la durée de sa résidence. Lorsqu’Ito Laïla Le François est venue au Jardin floral de La Pocatière avec sa fille âgée de seulement 8 mois et son chien, la Vrille mobile leur a servi de campement. Les projets de Vrille représentent des occasions extraordinaires pour diffuser de l’art actuel sur le territoire. Les artistes sont extrêmement généreux et leurs projets nous touchent et nous interpellent. Si je fouille au fond de moi, je pense que je le fais pour que mes enfants, et tous les autres bien sûr, puissent voir de l’art de qualité chez nous, sans qu’on ait à aller à Montréal, New York ou Barcelone.
Personnellement, je crois qu’il faut vivre en harmonie et en intégration avec ces différentes sphères de notre vie que sont la famille et la pratique artistique, sinon c’est rapidement contraignant et frustrant. Ce sont des vases communiquant et le temps ou l’énergie qu’on investit dans une sphère on a l’impression de le retirer à l’autre. Si au contraire, l’une nourrissait l’autre et qu’elles pourraient fleurir ensemble? Mon intention est d’être dans les deux sphères du mieux que je peux. Je pense qu’il faut refaire régulièrement notre liste de valeurs et de priorités pour s’assurer de rester cohérent. C’est aussi important de se rappeler que tout change rapidement et que nous traversons des phases. Nous changeons personnellement et nos enfants aussi. Être parent d’un 0-5 ans ou d’un 12-17 ans n’a pas les mêmes implications. Ma disponibilité actuelle pour du temps personnel et pour le travail est immensément plus grande qu’il y a cinq ou dix ans. Plus maman ou plus artiste, les deux me nourrissent différemment. Je m’efforce de faire de mon mieux dans ces différents rôles. Il est clair pour moi que mon épanouissement, ma valorisation et ma soif d’apprendre et de me dépasser passent principalement par mon travail. J’ai de piètres qualités pour tenir une maison, je n’aime pas beaucoup cuisiner et ma tolérance au désordre est hors du commun. C’est d’ailleurs ce que le contexte pandémique m’a permis de réaffirmer. Pour entretenir ma flamme l’art, en consommer et en produire, est ma nourriture première.
Se plonger dans la création à raison de seulement quelques heures ou minutes par-ci par-là demande une grande discipline. Il faut que ces contraintes deviennent stimulantes plutôt que freinantes. Je ne dis pas que c’est facile, mais ça vaut la peine de tenter le coup. L’acceptation représente un pas de géant. Il faut peut-être juste profiter de chaque moment parce ça ne dure pas si longtemps au final. Déjà 15 ans.»