Date de publication :

09/08/2019

Modifié le :

02/05/2023

L’art public… comment ça marche ? Une étude de cas à Rimouski.

 

La Ville de Rimouski dévoilait un peu plus tôt cette semaine le projet lauréat du tout premier concours lancé dans le cadre de sa Politique d’art public : Le bon élan, du duo d’artistes de Québec Demers-Mesnard. À cette occasion, voici quelques éléments qui permettront à tout un chacun de mieux comprendre les étapes d’intégration d’une œuvre dans l’espace public.

La Politique d’art public de Rimouski, rappelons-le, a été adoptée en 2015 et prévoit que la Ville consacrera désormais une petite part du budget de ses propres projets d’immobilisation à l’implantation d’œuvres d’art originales (le pourcentage varie en fonction du budget global, autour de 1,5 %). Cela complète en quelque sorte la politique provinciale d’intégration des arts à l’architecture, plus souvent désignée sous l’appellation du « 1% », qui concerne les projets financés par le Gouvernement du Québec. De nombreuses villes québécoises sont maintenant pourvues de tels outils, qui permettent de coordonner, planifier, inventorier, gérer et promouvoir leurs collections d’œuvres dans l’espace public. Les règles du processus d’implantation y sont clairement définies, de manière à ce que tout nouveau projet soit le fruit d’une démarche éclairée et équitable prise par un groupe de personnes aux compétences variées et reconnues.

Grosso modo, le processus d’un concours pour l’intégration d’une nouvelle œuvre originale, à Rimouski comme ailleurs, se fait en plusieurs étapes :

  • Pour chaque nouveau projet, un comité est formé : il est composé de professionnels du milieu des arts visuels, de représentants des usagers (une citoyenne du quartier, par exemple), de représentants de la Ville (élus et/ou employés), et de l’architecte en charge du projet. L’objectif est que puissent s’exprimer différentes visions de l’œuvre à choisir, et que toutes les expertises nécessaires soient présentes autour de la table. En tout temps, le mandat du président de ce comité est de rechercher un consensus.
  • Le premier travail du comité vise à établir ce que l’on appelle le « programme de l’œuvre» : c’est le document qui définit le type d’œuvre et son emplacement projeté, les thématiques que l’on souhaite voir abordées, les dimensions minimales ou maximales, les matériaux recherchés ou proscrits, et les contraintes éventuelles… Par exemple, pour l’œuvre de la caserne et du pavillon, il fallait évidement ne pas nuire à la visibilité lorsque les camions des pompiers sortent en urgence; il fallait aussi que l’œuvre soit visible l’hiver malgré la neige (donc en hauteur), qu’elle soit colorée et dynamique, éclairée la nuit, qu’on ne puisse y grimper, qu’elle s’adresse aux jeunes qui fréquentent la glace l’hiver, tout en faisant un écho au courage des pompiers… alouette! Pour les artistes, c’est là tout un défi.
  • Une fois cette étape complétée, le concours peut enfin être lancé ! Dans le cas qui nous concerne, les artistes professionnels pratiquant la sculpture et résidant dans l’ensemble du Québec étaient invités à déposer un dossier de candidature, avec CV, intention préliminaire et portfolio.
  • La seconde rencontre du comité intervient après la clôture du concours : tous les dossiers sont analysés un par un, et après moult discussions les finalistes sont sélectionnés. On s’assure à cette étape d’avoir au minimum un artiste de la région, et des profils différents et complémentaires (artistes confirmés et artistes émergents, par exemple). À Rimouski, il y avait trois finalistes prévus au programme, qui ont été invités à élaborer chacun une œuvre et à en produire une maquette en prévision d’une présentation. Les artistes sont rémunérés pour cette étape, qui demande beaucoup de temps, de recherche et quelques dépenses, notamment pour produire des évaluations par des ingénieurs.
  • Trois mois passent… et c’est maintenant l’étape la plus excitante et la plus délicate qui arrive pour les membres du comité : ils reçoivent un par un les artistes finalistes, qui font la présentation détaillée de leur proposition. Sont discutées ici toutes les questions relatives à la démarche artistique et à la réponse apportée au programme, de même que les points techniques sur les matériaux, les charges, l’éclairage, le budget, l’échéancier de production, etc. Une fois complétées ces présentations, le comité à la lourde tâche de faire un choix.
  • Pour finir, le choix du comité n’est qu’une recommandation : il devra ultimement être soumis au Conseil municipal pour approbation formelle. C’est seulement après cette dernière étape qu’un contrat est signé entre la Ville et l’artiste, et que le travail de production de l’œuvre peut enfin commencer.

Ce processus rigoureux prend un certain temps à se compléter, et il s’écoule facilement une année entre la formation du comité et l’inauguration d’une œuvre. Il restera alors à faire un travail de médiation culturelle pour que toutes et tous se l’approprient. Est-il besoin de rappeler le nombre d’œuvres dans l’histoire de l’art qui ont fait polémique un temps, avant de devenir de véritables icônes de leur ville ?

Pour finir, un petit mot sur le budget des œuvres d’art public. Prenons le cas du projet de la caserne des pompiers et du pavillon polyvalent : le budget annoncé est de 105 000 $, ce qui est tout à fait courant pour ce type d’implantation. Cela comprend les taxes, et il faut également retrancher les rétributions pour les maquettes, ce qui finalement donne un budget réel de 79 324 $ pour l’oeuvre en tant que telle. En art public, on doit s’assurer de la pérennité des œuvres, ce que n’offrent pas à long terme des matériaux comme la fibre de verre, par exemple. Le bronze en revanche offre cette durée dans le temps, mais cela coute extrêmement cher. L’œuvre de Fanny Mesnard et Isabelle Demers comporte un labrador coulé en bronze et des tuyaux d’aluminium cintrés, qui engagent à eux seuls environ 60 % du budget disponible. Ajoutez les imprévus exigés (10%), les transports et l’installation, les frais de séjour, les assurances, les frais d’ingénieurs… et vous comprendrez rapidement que la part qui revient aux artistes n’a rien de faramineuse – a fortiori lorsqu’elle doit être partagée entre les membres d’un collectif.

Rendez-vous est donc donné fin 2019 sur l’Avenue de la Cathédrale pour l’inauguration de l’œuvre Le bon élan !

Pour aller plus loin :

Politique d’intégration des arts à l’architecture et à l’environnement des bâtiments et des sites gouvernementaux et publics
Voir des œuvres du 1% : Bilan 2010-2013
Politique d’art public de la Ville de Rimouski
L’œuvre du duo Demers-Mesnard au Grand marché de Québec

 

* Baptiste Grison / Culture-Bas-Saint-Laurent a été mandaté par la Ville de Rimouski pour présider le Comité de définition de projet de cette intégration.